Présentation d’un essai (1 200 ko) de Agnès ECHÈNE
PERCEVAL & LE GRAAL ou la construction de la masculinité
un mythe pré-féodal fondateur
Pour partir à la conquête du monde et mettre en œuvre les nouvelles valeurs, celles des guerriers, chevaliers et autres féodaux, un acte premier s’impose : le meurtre de la mère. Cet acte fondateur de toutes les cultures patriarcales, est posé au tout début du Conte de Perceval, et conditionne toute la suite des aventures du héros, et de tous ceux de la Table Ronde. Cet essai en montre les conséquences.

NAISSANCE DE L’HOMME MODERNE

L’intérêt du roman de Chrétien de Troyes “Perceval ou le Conte du Graal”, c’est sa mise en scène de l’apparition d’un “homme nouveau”. Le jeune héros vient en effet de l’Autre Monde, celui d’avant la féodalité. L’auteur, probablement à la suite des conteurs qui ont narré de vive voix l’épopée de Perceval, nous le fait découvrir au moment précis où il est arraché à ce monde “d’avant”, par la séduction qu’exerce sur lui un groupe de chevaliers rutilants et cliquetants. Mais cet Autre Monde persiste et résiste aux assauts des gens d’armes, et Perceval conserve longtemps sa mentalité archaïque, suffisamment pour être en proie à des dilemmes insurmontables dont il ne sort qu’en trahissant. Il ne peut en effet devenir “le meilleur chevalier du monde” qu’en reniant les siens, en désavouant les valeurs anciennes et en condamnant à mort sa mère et toute sa parenté. Le remord qui le taraude alors et les terribles conflits de loyauté auxquels il est en proie, nous les connaissons encore ; nous les rencontrons si souvent chez les hommes que nous cotoyons ! Avec le Conte du Graal, nous avons sous les yeux les images d’un monde révolu et les façons d’être, de penser, d’aimer d’hommes et de femmes disparus ; contre eux, « l’homme moderne » y prend forme, élaboré par la féodalité ; il se dessine durant les siècles qui précèdent l’écriture du roman, l’un des premiers de la littérature européenne, et sur les décombres d’un homme différent, certainement “vieux comme le monde”, que la féodalité a vigoureusement éradiqué pour le remplacer par le “chevalier”, homme de l’ordre nouveau, exalté pour être mieux asservi et maître en sa demeure pour être mieux maîtrisé. Les masses assujetties sont invitées à l’admirer, voire l’imiter. Complice intéressée, bien que souvent rivale, l’Eglise catholique étaye le système féodale d’une idéologie glorifiant les mêmes valeurs, tout en y adjoignant celles qui servent plus directement ses propres intérêts. Cet ordre nouveau est né de la collusion entre le conquérant romain et les conquérants “barbares”, véhiculant autant l’un que l’autre le système indo-européen basé sur la fameuse “tripartition fonctionnelle” mise en lumière par Dumézil ; son instauration n’alla cependant pas sans heurts, sans résistance et sans répression. Mais il finit par émerger, l’homo occidentalis sous sa forme vir, violent et autistique, sous sa forme mulier, servile et hystérique. Le roman de Perceval s’inscrit donc dans l’histoire occidentale comme une charnière entre deux civilisations dont seule la seconde, la féodalité des seigneurs de la guerre, a émergé. La première, celle des vaincus, a sombré dans un oubli savamment élaboré. Alors, de la part de ces clercs de jadis, était-ce ruse ? ou naïveté ? que de dépeindre, et sur ordre des puissants qui les commanditaient, la beauté, la fraîcheur, la grandeur de mœurs délibérément éradiquées pour être remplacées par l’ordre social tripartite, foncièrement injuste car, déjà, marchandisé. Le pouvoir et son corollaire le profit, ont eu raison de la civilisation des gens et des communes, celle dite de la “Vieille Europe”. Ce que nous vivons, aujourd’hui encore, est l’évolution normale avec les adoucissements dus aux luttes et les amplifications dues au temps, de ce mouvement de civilisation impulsé par la féodalité. Aucune révolution, aucune idéologie n’a en effet contesté ou aboli les véritables bases de cette civilisation dont nous payons aujourd’hui, comme au Moyen-Age, un lourd tribut.

UN MYTHE TOUJOURS ACTIF

La masculinité “nouvelle” inventée en ces temps reculés fut un puissant facteur de réussite des conquêtes indo-européennes ; tous les mythes masculins qu’elle inventa sont dessinés dans “Perceval” : “l’individu” émerge alors, né d’une “famille” nouvelle, totalement remaniée, avec les figures du “père” et du “mari”, jusque là inédites ; le “héros”, “l’aventurier” se hissent au sommet et sont exaltés ; on voit naître aussi le “fidèle” et le “rebelle”. Aucun de ces mythes n’est à ce jour disqualifié, bien au contraire ; qu’il s’agisse du cinéma, de la bande dessinée ou de la littérature, masculine ou féminine, la mythologie de l’homme sécrétée par la féodalité est toujours vivante et toujours activée : ni les hommes cherchant à sortir de la “domination masculine” ni les femmes libres et conquérantes ne savent - ne peuvent - s’en émanciper. Fondement indispensable de la marchandisation, donc du pouvoir, qu’il soit capitaliste, communiste, socialiste, machiste, despotique, économique, démocratique ..., cette mythologie n’a aucune raison d’être entretenue par qui s’oppose à la marchandisation et au pouvoir ! Et pourtant ! Mais alors ?

Essai en 6 parties :

1 - La filiation, la parenté : l’émergence de l’individu

2 - La paternité : l’émergence du rebelle

3 - L’amour conjugalisé : l’émergence de l’époux et du cocu

4 - La spiritualité : l’émergence du fidèle

5 - La Quête perpétuelle : l’émergence du héros

6 - L’ouverture au monde : l’émergence de l’aventurier


On sait combien est inquiétante aux yeux de nos contemporains, la dissociation entre la sexualité et la parenté. Travaillant depuis de longues années sur l’articulation de ces deux "vocations" humaines, on explore ici leurs "liaisons dangereuses" à travers le temps et l’espace. 5 essais relatifs à ce thème sont actuellement achevés :

-  MÉDÉE ou le remaniement du droit (136 ko)
-  TRISTAN & ISEUT ou l’invention du couple moderne (368 ko)
-  MÉLUSINE ou la transgression des interdits (162 ko)
-  BARBE-BLEUE ou la violence du couple (213 ko)
-  PERCEVAL & LE GRAAL ou la construction de la masculinité (1200 ko)

La Sexualité et la Parenté constituent une des questions-clés de notre modernité : tous les problèmes liés à la famille, aux relations hommes/femmes, à la violence conjugale, à l’enfance, à la maltrai-tance, aux perversions, à la prostitution, à l’identité masculine, à la paternité ... et à maints désespoirs contemporains, sont reliés à la sexualité et à la parenté. Ces malheurs de l’Occident trouvent évidemment des échos dans les autres sociétés, notamment islamiques, qui, désireuses d’éviter ces secousses et de conserver leur propre armature, s’obstinent déséspérément dans leur propre orientation de ces axes sociaux que sont la procréation et la filiation. Mes recherches portent sur les manières dont les sociétés ont articulé ces deux pôles de la vie humaine individuelle et collectives, autant dans le temps que dans l’espace. Elles questionnent l’archéologie, l’ethnologie, l’anthropologie, l’ethologie, l’histoire, la mythologie, l’histoire des religions, le droit et son histoire, la recherche et la réflexion politiques, sociologiques, féministes ... mais aussi les littératures anciennes, antiques, archaïques, écrites et orales ... intégrant autant que faire se peut les plus récents travaux effectués dans ces domaines.

Je me suis attelée à une tâche de grande ampleur à laquelle je consacre un travail considérable. Cette archéologie des mythes et littéra-ures à laquelle je m’emploie, permet de repérer des sources d’intelligibilité très réculées dont l’éclairage sur notre temps porte par conséquent très loin et balaye très large. La comparaison avec des modes de vie et des agencement sociaux contemporains fort différents des nôtres et rappelant ceux des sociétés européennes antiques, cette comparaison est tout à fait stimulante.

Ces essais s’organisent autour de grandes figures mythiques. Celles-ci dominent de leur puissante stature autant notre littérature que notre conscience morale et sociale. Je les ai choisies parce qu’elles éclairent avec beaucoup d’éclat des thématiques particulièrement complexes. En outre, il est indispensable, à mes yeux, d’explorer notre patrimoine oral & écrit, pour y détecter les éléments sur lesquels se fondent nos croyances, notre imaginaire, notre perception du réel (naturel autant que social), et nos valeurs ; indispensable aussi d’interroger les textes qui les concernent pour ce qu’ils ont à nous transmettre sinon d’une “Histoire” du moins d’un passé parfois fort lointain, souvent oublié. L’approche “fictionnelle” me semble pertinente car elle permet de dé-couper et de structurer autour de figures romanesques et attachantes une problématique extrêmement ardue et parfois bien austère !

Il ressort de ces investigations que nos sociétés occidentales ont aujourd’hui une conception et une structuration de la sexualité articulée à la parenté qui, si elles nous semblent universelles et intemporelles, n’en sont pas moins localisées et datées. La relativité spatiale nous est connue par les relations de voyage et l’ethnographie ; la relativité temporelle par les documents disponibles dans notre propre patrimoine (textes juridiques, ecclésiastiques, littéraires ...). Il apparaît en effet avec une évidence éclatante que, si elles ont évolué, nos sociétés occidentales ont par ailleurs connu de décisives mutations, en particulier sur le plan juridique. Ces mutations ont affecté de nombreux domaines de la société, notamment la filiation, avec des incidences évidentes sur la sexualité.

Agnès ECHÈNE

chercheuse en anthropologie culturelle, essayiste, auteure dramatique -

agnes.echene@wanadoo.fr - 05 65 72 66 76 - 06 77 90 46 19


nous contacter
imprimer cette page
les images du site
documents presse