Présentation d’un manuscrit (740 ko) de Agnès ECHÈNE
Lien familial & Lien social
sexualité & parenté
Quel point commun existe-t-il entre le problème des relations hommes/femmes, les mutations de la famille, la violence conjugale, le désarroi adolescent, l’enfance maltraitée, les perversions sexuelles, la prostitution, la crise de l’identité masculine, l’essoufflement du féminisme, la maternité solitaire, la question de la paternité, la solitude de la vieillesse ? le lien familial.

Forme élémentaire du lien social, le lien familial est mal en point. Les rapports se multiplient, les politiques tournent en rond, le sort des uns et des autres empire. Ces mal-heurs de l’Occident trouvent évidemment des échos dans les autres sociétés, notam-ment islamiques, qui, désireuses d’éviter ces secousses et de conserver leur armature, s’obstinent déséspérément dans leur propre conception du lien familial. Mais échappent-elles pour autant aux divers maux précités ? Il semble que non. Le lien familial connaît pourtant, à travers la diversité des sociétes, des formes intéressantes et variées que nos ethnologues ont longuement observées, sans que nos décideurs en aient guère tiré parti. L’analyse des modèles existants est pourtant de la plus haute importance en matière de réflexion sociale. Si celle-ci en fait hélas l’économie, c’est peut-être faute de synthèse et de mise en lumière de ses structures de base. C’est à cette tâche qu’est consacrée l’étude que je vous présente ici. Elle s’inscrit dans un cusrsus de recherche commencé en Sorbonne, avec un DEA de philosophie (« La dialectique du sens dans le discours sur les sexes ») sous la direction du professeure Janine Chanteur, et poursuivi dans le domaine de l’anthropologie culturelle. Elle traite du lien familial et social dans nos sociétés occidentales antiques, et leur (r)évolution au fil du temps jusqu’à nos jours ; la démarche comparatiste qui l’anime s’appuie sur le corpus littéraire de nos premiers textes ainsi que sur la littérature orale, et intégre les travaux de l’histoire, de l’ethnologie & de l’anthopologie ainsi que les plus récentes études sociologiques sur la famille.

En voici le SOMMAIRE :

1 L’ESPRIT DE FUITE

2 AVANT LES TEXTES, LA TRADITION ORALE

3 LE SEXE FANTASQUE

4 LES AGES DE LA VIE

5 LES DEUX FAMILLES HUMAINES

6 LE CONTRAT SOCIAL

7 LA RUPTURE DU CONTRAT

8 LES DAMES DE CŒUR

9 LES SEXES ACCORDES

10 UN CHANGEMENT DE SOCIETE

11 BIBLIOGRAPHIE

La Sexualité et la Parenté constituent une des questions-clés de notre modernité : maints problèmes liés aux relations hommes/femmes, aux mutations de la famille, à la violence conjugale, à l’enfance, à la maltraitance, aux perversions, à la prostitution, à l’identité masculine, à la paternité, à la solitude de la vieillesse, en un mot tout ce qui fait apparaître la force ou la fragilité des liens entre les personnes ... de même que maints désespoirs contemporains, sont reliés à la sexualité et à la parenté. Ces malheurs de l’Occident trouvent évidemment des échos dans les autres sociétés, notam-ment islamiques, qui, désireuses d’éviter ces secousses et de conserver leur armature, s’obstinent déséspérément dans leur propre orientation de ces axes sociaux que sont la procréation et la filiation. Mes recherches portent sur les manières dont les sociétés ont articulé ces deux pôles de la vie humaine individuelle et collectives, autant dans le temps que dans l’espace. Elles questionnent l’archéologie, l’ethnologie, l’anthropologie, l’ethologie, la linguistique, l’histoire, la mythologie, l’histoire des religions, le droit et son histoire, la recherche et la réflexion politiques, sociologiques, féministes ... mais aussi les littératures anciennes, antiques, archaïques, écrites et orales ... intégrant autant que faire se peut les plus récents travaux effectués dans ces domaines.

Les études que j’ai consacrées à ce sujet s’organisent pour la plupart autour de grandes figures mythiques. Celles-ci dominent de leur puissante stature autant notre littérature que notre conscience morale et so-ciale. Je les ai choisies parce qu’elles éclairent avec beaucoup d’éclat des thématiques particulièrement complexes. En outre, il est indispensable, à mes yeux, d’explorer notre patrimoine oral & écrit, pour y détecter les éléments sur lesquels se fondent nos croyances, notre imaginaire, notre perception du réel (naturel autant que social), nos valeurs ; indispensable aussi d’interroger les textes qui les concernent pour ce qu’ils ont à nous transmettre sinon d’une “Histoire” du moins d’un passé parfois fort lointain, souvent oublié. L’approche “mythique” me semble pertinente car elle permet de dé-couper et de structurer autour de figures emblématiques une pro-bléma-tique extrêmement ar-due et parfois bien austère !

5 essais relatifs à ce thème sont actuellement achevés :

-  MÉDÉE ou le remaniement du droit ou LA RECONSTRUCTION DU DROIT (136 ko)
-  TRISTAN & ISEUT ou l’invention du couple moderne ou L’INVENTION DU COUPLE MODERNE (368 ko)
-  MÉLUSINE ou la transgression des interdits ou L’ELIMINATION DES TABOUS (162 ko)
-  BARBE-BLEUE ou la violence du couple ou LA VIOLENCE DU COUPLE (213 ko)
-  PERCEVAL & LE GRAAL ou la construction de la masculinité ou LA CONSTRUCTION DU MASCULIN EN OCCIDENT (1200 ko)

L’Antiquité, telle que nous la révèlent les tragédies grecques et la my-thologie, fut le foyer d’une révolution qui, venue du Proche-Orient (Babylone, Assur, Palestine ...), toucha peu à peu tout le bassin médité-ranéen puis les pays du nord. Les invasions furent le vecteur d’un nouveau droit ; celui-ci affecta profondément la famille et souleva la tou-jours épineuse question de la paternité ; nous trouvons en outre de nombreux signes d’une forte résistance à ces changement qui boulever-sèrent durablement les sociétés (cf MÉDÉE ou le remaniement du droit ou la forfaiture du droit).

La première littérature européenne en langue vulgaire se fait l’écho d’une société révolue que les scripteurs eux-mêmes n’ont pas connue. Mais ils notent avec beaucoup de scrupules de nombreux faits et usages que, sans les comprendre, ils se sentent tenus en conscience de restituer tels que la tradition orale les leur a transmis. Prototype de l’homme moderne, Perceval, le héros médiéval de la Quête du Graal, (cf PERCEVAL & LE GRAAL ou la construction de la masculinité ou le masculin sinistré) annonce - et impose - les caractères de la nouvelle masculinité. Celle-ci s’élabore évidemment dans les siècles qui pré-cèdent l’écriture de ce roman, l’un des premiers de la littérature européenne, et sur les décombres d’un homme différent, certainement “vieux comme le monde”, que la féodalité a vigoureusement éradiqué pour le remplacer par le “chevalier”, homme de l’ordre nouveau, exalté pour être mieux asujetti, et maître en sa demeure pour être mieux maîtrisé. Les masses asservies sont invitées à l’admirer, voire l’imiter. Complice intéressée bien que souvent rivale, l’Église catholique étaye le système féodale d’une idéologie prônant les mêmes valeurs, tout en y ajoutant celles qui servent plus directement ses propres intérêts. Cet ordre nouveau est né de la collusion entre le conquérant romain et les conquérants “barbares”, véhiculant autant l’un que les autres, le système indo-européen ; sa mise en place s’est étalée de l’Antiquité aux premiers siècles chrétiens. De longs siècles de normalisation, de résis-tance et de répression, pour voir apparaître les figures mons-trueuses de l’homo occidentalis sous sa forme vir, violent et autistique, et sa forme mulier, servile et hystérique. L’intérêt du roman de Chrétien de Troyes, “Perceval ou le Conte du Graal”, c’est sa mise en scène de cette “apparition” de l’homme nouveau. Le jeune héros vient en effet de l’Autre Monde, celui qui précède la féodalité. L’auteur, probablement à la suite des conteurs qui ont narré de vive voix l’épopée du héros, nous le fait découvrir au moment précis où il est arraché à ce monde ancien par la séduction qu’exerce sur lui un groupe de chevaliers rutilants et cliquetants. Mais cet Autre Monde persiste et résiste aux assauts des gens d’armes et Perceval garde en lui la mentalité archaïque. Nous avons alors sous les yeux les images d’un monde révolu et les façons d’être, de penser, d’aimer d’un homme - et de femmes - disparus. Le roman de Perceval s’inscrit donc dans l’histoire occidentale comme une charnière entre deux civilisations dont seule la seconde, celle des vainqueurs, émerge, demeure, et est encore et toujours dépeinte, pour être glorifiée. La première, celle des vaincus, a sombré dans un oubli savamment élaboré. Alors, de la part de ces clercs de jadis, était-ce ruse ? ou naïveté ? que de décrire, et sur ordre des puissants qui les commanditaient, la beauté, la fraîcheur de mœurs délibérément éradiquées pour être remplacées par un ordre social injuste et des rapports humains marchandisés. Le pouvoir et le profit ont eu raison de la civilisation dite de la Vieille Europe. Ce qui se passe aujourd’hui n’est que l’aboutissement et l’amplification de ce mouvement de civilisation impulsé par la féodalité. Aucune révolution, aucune idéologie n’a jusqu’à ce jour aboli les véritables bases de cette civilisation dont nous payons chaque jour, aujourd’hui comme au Moyen-Age, un lourd tribut aux puissants. La masculinité “nouvelle” inventée en ces temps reculés fut un puissant facteur de réus-site de la conquête. Tous les mythes masculins sont dessinés dans “Perceval” : “l’individu” émerge alors, né d’une “famille” nouvelle, totalement remaniée, avec les nouvelles figures du “père” et du “mari”, jusque là inédites ; le “héros”, “l’aventurier” sont exaltés ; on voit naître aussi le “fidèle” et le “rebelle”. Aucun de ces mythes n’est à ce jour disqualifié, bien au contraire ; qu’il s’agisse du cinéma, de la bande dessinée ou de la littérature, masculine ou féminine, la mythologie de l’homme élaborée par la féodalité est toujours vivante et toujours activée ; elle a même contaminé les femmes que le joug muselait jusqu’à nos jours. Soubassement indispen-sable de la marchandisation et, par conséquent du pouvoir, qu’il soit capitaliste, com-muniste, socialiste, machiste, économique, despotique ou démocratique ..., cette mytho-logie berce toujours nos rêves ...

Nous observons, dans un important corpus légendaire, la notion de Tabou, fondement incontournable de la régulation de la sexualité dans les sociétés anciennes. Nous voyons ensuite comment les Tabous furent supprimés pour être remplacés par la Loi, comment la Loi fut - et est - fréquemment et aisémment bafouée, et comment la sexualité, sans être pour autant suffisamment libérée, est cependant au-jourd’hui tragiquement dérégulée. (cf MÉLUSINE ou la transgression des interdits ou l’élimi-nation des Tabous).

L’exploration de notre littérature permet une véritable auscultation de la société occidentale. Ainsi, toute la tradition relative à Barbe-Bleue, depuis le premier type (mésopotamien ?) jusqu’à nos modernes sérials killers (de femmes, essentiellement) en passant par le Kekzakalu de Bartok ou le héros de Dukas, insiste-t-elle avec une obstination hallucinante sur les aléas de la violence sexuelle et le danger mortel du confinement amoureux (cf BARBE-BLEUE ou la violence du couple ou l’amour meurtrier).

Aussi intemporelles, les figures lumineuses et tragiques de Tristan et Iseut ne cessent de mettre en accusation les lois de la féodalité avec la mise en place d’institutions qui ont survécu à toutes les révolutions, en particulier le droit de la filiation et la conjugalité. On découvre ainsi avec intérêt l’instauration du “code de l’honneur” (en matière sexuelle, notamment) qui, à notre insu, gouverne toujours nos modernes consciences, les plus honnêtes comme les plus dévoyées (banditisme & mafia inclus) ; si ses effets sont affaiblis du fait d’un contexte libéral, il n’en a pas moins une évidente connexion avec les crimes d’honneur des pays musulmans. (cf TRISTAN & ISEUT ou l’invention du couple moderne ou l’invention du couple moderne)

Je me suis attelée à une tâche de grande ampleur à laquelle je consacre un travail considérable. Cette archéologie des mythes et littératures à laquelle je m’emploie, permet de repérer des sources d’intelligibilité très réculées dont l’éclairage sur notre temps porte par conséquent très loin et balaye très large. La comparaison avec des modes de vie et des agencement sociaux contemporains fort différents des nôtres et rappelant ceux des sociétés européennes antiques, cette comparaison est tout à fait stimulante.

Il ressort de ces investigations que nos sociétés occidentales ont aujourd’hui une conception et une structuration de la sexualité articulée à la parenté qui, si elles nous semblent universelles et intemporelles, n’en sont pas moins localisées et datées. La relativité spatiale nous est connue par les relations de voyage et l’ethnographie ; la relativité temporelle par les documents disponibles dans notre propre patrimoine (textes juri-diques, ecclésiastiques, littéraires ...). Il apparaît en effet avec une évi-dence frappante que, si elles ont évolué, nos sociétés occidentales ont par ailleurs connu de décisives mutations, en particulier sur le plan juridique.

Agnès ECHÈNE

chercheuse en anthropologie culturelle, essayiste, auteure dramatique, consultante en communication -

agnes.echene@wanadoo.fr - 05 65 72 66 76 - 06 77 90 46 19


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